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    VI – BATZ – DARTHMOUTH

     

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    Sous le ciel où la lune n’a pas encore paru, craque et gémit « La Mouette » que la mer secoue rudement.

     

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    L’enthousiasme de naguère est tombé.

     

    Dés la passe Ouest franchie, nos hommes se sont sentis mal à l’aise sur le plancher mouvant et ont payé un lourd tribut aux poissons.

     

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    Ils gisent maintenant pêle-mêle dans le fond du bateau et exhalent de temps à autre de faibles gémissements.

     

    Le moteur s’est trouvé mal lui aussi en rencontrant la mauvaise mer et nous marchons à la voile.


    Le vieux pilote, impassible, manie avec habileté sa barre pour éviter les paquets d’embruns que la mer nous octroie généreusement.

     

    Nous ne sommes plus que deux à tenir debout.

     

    J’en tire une certaine fierté.


    Je consulte la boussole de temps à autre pour rectifier la direction, geste inutile, car l’étoile polaire suffit amplement. Le vent est bon …


    La journée du lendemain est à peu près sans histoire.

     

    Ciel gris, mer démontée qui s’écrase sur la carène, jaillit sur les plats bords, et s’écoule avec des « glous-glous » sur les gars de l’équipe qui se retournent parfois avec de sourds grognement.

     

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    Un clapottis malencontreux a empli d’eau la boussole qui n’est plus étanche. En le nettoyant, j’ai cassé le verre.

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    Il me faut l’abriter continuellement dans le petit roof avant où, accroupi, je braille continuellement la direction au barreur :

    « A droite… encore … bien … ».

     

    Exemple de roof

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    Il faut maintenant louvoyer contre le vent, en estimant au petit bonheur la vitesse et le temps.

     

    Bah !… la côte anglaise est grande.


    La journée s’écoule lentement à cette tâche monotone, contrastant avec la vièvre des heures précédentes.


    Cinq heure du soir.

     

    La mer qui s’est calmée un peu l’après-midi, a permis aux plus vaillants de se mettre sur pied, mais leur moral est bas et ils échangent des propos défaitistes.

     

    Je ne m’en soucie guère, tout occupé à la direction du bateau.

     

    Plusieurs m’ont déjà demandé si l’on arriverait bientôt. J’ai haussé les épaules et répondu :


    « Sans doute demain »


    Ils n’on guère paru satisfaits. Etienne et Roger, avec lesquels j’ai bavardé un peu, sont abattus par le mal de mer.

     

    Du roof où je suis installé à nouveau, je reprends mon incessante litanie :

    «  A gauche … encore … bien »


    Quel brave homme, ce vieux marin qui tient la barre, mais lui aussi a liquidé sa provision de pinard et nos réserves n’en comprennent pas !…

     

    Exemple de barre utilisée dans ce cas

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    Le ciel, qui a donné l’espoir d’une éclaircie, se couvre à nouveau.

     

    Le vent siffle et ballotte rudement. Il faut hurler pour dominer le fracas.


    Mais qu’est-ce ?…


    La boussole a oscillé mollement deux ou trois fois et pris la direction du sud..

     

    Je la secoue. Ce maudit engin est-il encore détraqué ?… Non.


    Mais alors, le bateau ?…


    Je sors comme un diable de sa boîte et  vois une grande agitation dans l’équipe.

     

    Tous sont debout autour de Roger et Etienne et discutent violemment.


    Mon irruption provoque un silence.


    - « Ils veulent retourner au pays et font demi tour, ils sont fous ! », dit Roger.


    La discussion se ranime. Ils crient tous ensemble. Je bondis sur le plat bord en me tenant d’une main au mât, me mets à hurler plus fort qu’aux. Ils finissent par m’écouter.

    Je ne me souviens plus, aujourd’hui, des termes exacts de cette harangue, où il est question de la proximité de l’Angleterre, des difficultés de retour, et des Allemands qui nous attendent à l’arrivée.

     

    Mais le tumulte s’apaise. On remet le bateau en direction du Nord.

     

    Il semble que cette décision nous rende les éléments favorables car la mer se calme peu à peu.


    A la nuit tombante, nous apercevons un grand convoi de bateaux à l’horizon et un avion de patrouille anglais vient tourner autour de nous.

     

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    Cela remonte le moral.

     

    Une grande vague d’optimisme règne quand la nuit nous enveloppe à nouveau.

     

    Le cuisant souvenir de BATZ nous a rendus prudents et fais louvoyer Est-Ouest toute la nuit, pour éviter de donner sur les côtes anglaises que nous pensons proches.

     

    Le vent est mou, la barre a été confiée à un des jeunes pêcheurs et je ne sais pas trop comment je m’endors dans mon abri tandis que j’indique la direction.


    L’aube d’un matin clair sur une mer calmée nous trouve sur pied et un bon vent nous lance vers le Nord.

     

    Une heure plus tard, nous rencontrons un chalutier armé, en patrouille, un anglais.

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    Il fait un grand cercle autour de notre barque tandis que nous hissons notre petit drapeau français.

     

    Bientôt nous apercevons la côte, une grande barre blanche à l’horizon. Il est sept heures du matin.


    Nous ne sommes pas encore arrivés.

     

    La falaise est en effet assez haute.


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    Le vent, qui faiblit, nous pousse très lentement et finit par cesser complètement, nous laissant en panne sur une mer calme, lisse comme un lac.

     

    Notre maudit moteur ne veut rien savoir pour démarrer.

     

    Il faut le démonter entièrement pour nettoyer le carburateur et les cylindres qui ont bu généreusement de l’eau par la prise d’air.


    L’apprenti mécanicien qui se trouve à bord réussit à le remonter, mais, retrouver l’ordre d’allumage est une autre histoire.

     

    Il faut essayer toutes les permutations des six fils en tournant chaque fois la manivelle pour faire démarrer l’engin.

     

    Au bout d’une heure d’efforts, nous entendons une explosion pleine de promesses.

     

    Mais c’est tout...!!!


    Nous nous relayons à la manivelle.

     

    L’un tourne pendant que l’autre tente le plus possible de combinaisons avec les fils. Les spectateurs se répandent en réflexions avisées.

     

    Enfin, la machine se décide à partir lentement avec un bruit de ferraille et en émettant à intervalles réguliers un « boum » assourdissant par le pot d’échappement.

     

    On doit se contenter de cette demi volonté.


    Notre premier objectif est d’atteindre une barque de pêche aperçue non loin de là.

     

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    Nous y parvenons avec peine. Etienne, sachant l’anglais, la hèle :


    - « Hello ! Where are we? »

    - « DARTHMOUTH »

     

    Nous avons déplié la carte d’Angleterre et voyons le port indiqué, ça y est on est arrivé!..


    Nous fonçons dans la direction du port.


    « Ta ta ta boum » !… halète joyeusement la machine.

     

    Sur la barque tout le monde pousse des vivats, et l’un de nous jette à la mer une bouteille soigneusement bouchée dans laquelle il a mis un papier indiquant que le 25 juin, onze jeunes gens quittant la France ont atteint l’Angleterre à bord de « la Mouette ».

     

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    Bientôt apparaît dans une anfractuosité de la falaise, l’entrée du petit port de DARTHMOUTH.

     

    Une embarcation à moteur se dirige vers nous et s’arrête à une certaine distance, tandis que son équipage fait de grands gestes.


    « Pilot », lit mon voisin qui a la vue perçante.


    « Mais pourquoi s’agitent-ils don comme ça ? Hé, on arrive, vous en faites-pas… »


    Enfin, nous rejoignons le bateau pilote dont l’équipage semble rassuré.


    - « French ?» demande un petit barbu à casquette de douanier.

    - « Yes », braillons-nous en chœur.


    Etienne discute le coup avec les Anglais qui nous disent de les suivre pour entrer dans le port et de ne pas nous écarter à cause des mines.

     

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    Frisson rétrospectif, en songeant à l’émoi qu’ils ont manifesté tout à l’heure, mais avec notre faible tirant d’eau, nous ne risquions sans doute pas grand chose.

     

    Je regarde cependant la mer avec une certaine anxiété.


    L’animation la plus grande règne à bord.


    « Ta ta ta pouf pouf » !…ça y est !… le moteur a calé.

     

    Pris en remorque par le bateau pilote, nous faisons notre entrée dans le port.

     

    Cet incident a le don de mettre mon vieux marin breton en fureur.


    - « On a l’air d’une prise de guerre », m’explique-t-il.


    Nous l’apaisons tant bien que mal. Qu’importe, nous sommes arrivés.


    « La Mouette » se range à côté d’un chalutier hollandais.

     

    Quelques minutes plus tard, une autre barque accoste, et un espèce d’amiral, couvert de galons, vient nous interroger.

     

    Il vérifie nos papiers d’identité, examine d’un œil soupçonneux les bidons d’essence anglaise que nous avons emportés et nous demande si nous voulons manger.

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    Proposition que l’équipage accepte avec reconnaissance.

     

    Il fera porter des vivre à bord.

     

    Etienn, Roger et moi lui demandons l’autorisation de descendre en ville.


    - « Have you money ? »


    Je lui exhibe le billet de dix livres sauvé du naufrage. Cela semble l’étonner et augmenter sérieusement sa considération.


    L’autorisation est accordée.


    Le bateau pilote nous amène à terre. Avec une satisfaction non dissimulée, nous mettons enfin le pied sur cette côte anglaise que nous avons eu tant de peine à atteindre.

     

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    Fin des 5 premiers chapitres de ce récit vécu et raconté par Henri Augustin dans son livre :DE RENNES A L'EQUATEUR.


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